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Récit Paris Brest Paris 2019

Olivier LE LAMER

 

par Olivier Le Lamer
https://www.abeille-cyclotourisme.fr/souvenirs/2019-08_pbp_olivier.html

Mon état d’esprit à l’approche du départ, le dimanche 18 août à 20h15, était excellent. Je me sentais bien préparé, ayant réussi à réaliser l’intégralité du programme d’entraînement concocté début 2019, au sortir d’un mois de juillet particulièrement copieux (21 000 m de dénivelé effacés en Auvergne, Ariège et dans l’Aude dans le cadre du brevet montagnard de Limoux).

Sur le plan mental, j’avais anticipé un certain nombre de difficultés prévisibles : réapparition de la tendinite du tendon d’achille droit contractée lors du brevet 600 km, bobos divers et inévitable coup de moins bien, plus ou moins long à digérer. J’abordais tout cela avec philosophie, une trousse à pharmacie soigneusement préparée et une formule – « patience et courage » - glanée dans un forum internet, qui allait devenir un mantra pour moi tout au long de l’épreuve.

Pour tout dire, après 8 mois d’entraînement assez intensif, il était temps que cela commence, la blague de 1200 km !

Côté météo, cela se présentait bien, avec un temps très pluvieux qui avait le bon goût de s’interrompre en début d’après-midi le dimanche du départ. Et la perspective de plusieurs jours sans pluie avec des températures clémentes. Tout au plus les prévisions de vent (vent de face à l’aller et vent de face au retour) gâchaient un peu le tableau, mais s’agissant des prévisions les moins fiables, je me disais que le pire n’est jamais sûr.

Je profitais du contrôle de vélo le samedi – bien arrosé celui-là : 2h00 sous une pluie battante qui ont permis de confirmer que mes sacoches n’étaient pas complètement imperméables – pour solliciter les derniers conseils auprès cyclistes expérimentés. Un charmant couple normand, la veille d’attaquer leur 4ème PBP, se faisait un plaisir de partager avec moi quelques impressions et conseils.

Et déjà, il y a quelque chose qui frappe quand on parle avec des vétérans du PBP. Ils ne plastronnent et ne fanfaronnent pas, surtout à quelques heures du départ. Et ils sont tous extrêmement réservés et avares en conseils quand il s’agit d’aborder la question du trajet retour.

Le dimanche, j’arrive vers 16h00, bien avant l’heure de départ et je sympathise avec un finlandais. A ce sujet, avec un peloton composé à 75% d’étrangers, l’AUDAX est une aussi une méthode d’apprentissage des langues qui n’a rien à envier à la méthode ASSIMIL.

C’est sa deuxième participation et il a mis 20 ans avant de venir se frotter à nouveau au Paris Brest Paris, un peu traumatisé par sa première expérience. J’espérais tomber, avant le départ, sur quelqu’un qui me dirait que le PBP n’est pas si difficile que cela pour quelqu’un de bien préparé. Je décide d’abandonner mes recherches.

¾ d’heure avant le départ, je me présente, comme tous les membres du groupe S, dans le SAS de départ. L’occasion cette fois de sympathiser avec deux américains, un de San Francisco et l’autre de San Diego, qui s’attaquent à l’épreuve pour la première fois. J’ai une nouvelle fois l’impression d’être le moins nerveux du groupe. Je me dis que c’est peut-être lié au fait qu’ils sont venus tous les deux avec leur épouse et que ces dernières vont bénéficier de presque quatre jours de shopping effréné dans Paris d’ici à leur retour…

Les américains sont à ma connaissance la délégation étrangère la plus importante sur le Paris Brest Paris. Je découvrirai qu’ils sont, avec les anglais, des compagnons de route très agréables, sachant rouler, ouverts à la discussion et souvent équipés de superbes randonneuses.

A 20h15 précises, les fauves sont lâchés, précédés par deux motards. Ça démarre tranquillement, le temps de mettre en route la machine. J’observe autour de moi. Un groupe de 350 cyclistes, c’est tout de même sacrément impressionnant. Et concernant les nationalités, toutes les parties du monde sont représentées, avec une délégation asiatique assez conséquente.

Je me sens bien et je reste très concentré car tout le monde, dans ce bel équipage, n’a visiblement pas la même aisance quand il s’agit de rouler en peloton. J’essaie de trouver un groupe qui pourra m’emmener dans ces premiers kilomètres. Je dois faire avec les injonctions contradictoires de Gérard et d’Alain : « ne te grille pas en partant trop vite mais évite à tout prix de te retrouver tout seul ». Je repère un groupe de français arborant un magnifique maillot 53. Ça roule bien, sans excès, et suivre des mayennais sur le parcours d’un Paris Brest Paris, c’est rassurant.

Sans que je m’en rende compte vraiment, cela accélère sensiblement dès que la lumière du jour décroit. Les costauds ont mis en route devant. Alain m’avait prévenu : « tu verras, on ne met pas un coup de pédale pour rejoindre Mortagne au Perche ». Il y a tout de même une forme d’exagération dans son propos, mais il faut reconnaître que, bien blotti dans le peloton, on ne se fatigue pas des masses.

Une chose me donne de l’entrain ; ce départ me confirme ce que j’avais découvert lors des brevets : j’adore rouler la nuit. Les kilomètres défilent et pendant plusieurs heures, nous doublons sans discontinuer d’autres participants. Mon garmin m’indiquera à mon retour que j’avais avalé les 300 premiers kilomètres à 25,2 km/h de moyenne roulante.

Je découvre mon premier gisant du Paris Brest Paris – un participant qui s’allonge au bord de la route pour dormir, écrasé par la fatigue – à Châteauneuf en Thymerais, après 60 km seulement. Je me demande s’il a bien compris le concept de l’épreuve.

Je fais mon premier stop à Mortagne au Perche, un peu long sans doute car j’ai plaisir à découvrir les installations et à échanger avec les bénévoles. Je constate que certains participants, chinois japonais ou indiens pour la plupart, sont déjà bien entamés. Cela nourrira une polémique à l’arrivée. Un nombre important d’inscrits n’était manifestement pas prêt à affronter le PBP. Cela interroge aussi sur la valeur des brevets et sur leurs conditions d’obtention dans certains pays.

Ensuite les contrôles défilent – pas assez vite à mon goût car il y a tout de même un paquet de tampons à obtenir – et je me rends compte que je devrais être en mesure de tenir mon plan de route en rejoignant Saint Nicolas du Pelem pour dormir. C’est chose faite vers 21h00 le lundi. Le temps de manger, je rejoins le gymnase et je demande à être réveillé 2h30 plus tard. Je prends une douche et j’arrive à faire un cycle complet de sommeil particulièrement réparateur.

Bien en forme au réveil, je prends le temps de me restaurer – dans ce domaine, je dois avouer que c’est rapidement le grand n’importe quoi. Je mange ce dont j’ai envie à n’importe quel moment de la journée, principalement du salé car je sature très rapidement sur le sucre. Puis je file. Il me reste un peu plus de 200 km pour rejoindre Brest.

J’entame ma deuxième nuit de vélo. Je constate que je roule avec des cyclos des pelotons F, G et H. Cela signifie que j’ai repris plus de 2 heures le premier jour à de nombreux participants. Et que je tiens globalement mon plan de route basé sur un temps de 80 heures. Je comprends vite aussi que je fais des envieux au sein des pelotons avec mon S sur ma plaque de cadre, qui atteste du fait que je suis allé beaucoup plus vite que la moyenne.

Il faut dire que cette première journée a été très dure pour beaucoup de participants, avec un vent de face persistant. Tous ceux qui ont choisi de partir doucement ou de ne pas rouler en peloton vont le payer cash.

Seule ombre au tableau à ce stade, ma tendinite s’est réveillée au bout de 300 km. L’occasion de sortir mon produit miracle, indiscutablement mon secret sur ce premier PBP : une bombe de gel froid à l’arnica. Il ne m’en faudra pas moins de deux – que j’avais achetées sur les conseils de mon kiné – pour rallier l’arrivée à Rambouillet. C’est la première rubrique d’un carnet de santé qui n’aura de cesse de se remplir tout au long des quatre jours du Paris Brest Paris.

Je poursuis donc ma route, à un rythme plus modéré. Je commence à fatiguer et le roc’h trévézel de nuit, ça reste le roc’h trévézel. J’arrive à Brest au lever du soleil ; j’en profite pour prendre une photo que j’adresse à tous mes proches. Dans la famille, c’est l’effervescence. Nous avons créé un groupe WhatsApp lors d’une cousinade organisée en juillet. Les amis et les copains du boulot ne sont pas en reste. Tous ces encouragements font vraiment du bien. Ils deviendront essentiels quand les choses tourneront vinaigre.

A propos d’encouragements, je découvre ce qui rend le Paris Brest Paris unique. Dès que l’on arrive en Bretagne, on se trouve soutenu et applaudi quasiment sans discontinuer jusqu’à Brest. Certains – et ils sont très nombreux – vont même jusqu’à installer tables et chaises longues au bord de la route en proposant gâteaux, boissons et café contre la promesse de leur envoyer une carte postale à notre retour. Simplement parce que pour tout breton – et je sais de quoi je parle – le vélo est sacré. Et aussi pour témoigner de leur attachement à ce rendez-vous hors norme, de par son format, de par son côté très international, de par ses participants auxquels il est si facile de d’identifier.

Je reste très peu de temps à Brest, remplissant simplement les formalités au contrôle. Il faut dire que l’étape est sans doute – au grand désarroi d’un brestois avec qui je repars – une des moins intéressantes du parcours. En remontant sur le vélo, je pense immédiatement que chaque kilomètre à partir de ce stade me fera battre mon record de la plus longue distance parcourue à vélo.

J’aborde avec beaucoup de prudence cette étape Brest – Carhaix. D’abord parce qu’il s’agit du segment qui m’a donné le plus de fil à retordre depuis le début. Ensuite parce que je ressens une vive douleur à la cheville gauche lors de l’ascension de la longue rampe qui permet de sortir de Brest. Très rapidement suivie par mon genou gauche qui se rappelle à mon souvenir. J’imagine que j’ai inconsciemment compensé ma tendinite à droite. Et pour finir avec la rubrique « tout va mal », le vent a tourné pendant la nuit et se présente de ¾ face…

A partir de cet instant, j’applique à la lettre les règles suivantes :

Moyennant ces précautions et un moral intact car, honnêtement, à presque 50 ans je m’attendais à ce que l’exercice Paris Brest Paris fasse quelques dégâts sur le plan physique, je reprends vaillamment la route. Toujours sur le même mode : « patience et courage » dès que ça grimpe, c’est-à-dire globalement tout le temps !

Je n’avais pas aimé Carhaix – Brest de nuit. J’aime encore moins Brest – Carhaix de jour. Notamment parce que je suis désormais tout seul à rouler face au vent. La configuration du voyage retour n’a rien à voir. Les vrais costauds, dont Gérard, sont loin devant, les groupes de cyclos se sont clairsemés et globalement ça roule trop doucement pour moi. C’est parti – et je ne le sais pas encore à ce moment là – pour près de 500 km en solo…

Passé Carhaix, j’ai retrouvé le rythme et je me rapproche de Loudéac où j’ai l’intention de faire mon deuxième stop. J’y arrive un peu après 20h00 mardi. La fatigue se fait vraiment sentir. Le temps de constater que l’infirmerie est pleine - les kinés ne manquent pas de boulot manifestement – et d’engloutir rapidement une barquette de frites, je me précipite au gymnase pour dormir 2h00.

Pour essayer de dormir plus exactement. Tous les gros ronfleurs de l’édition 2019 du Paris Brest Paris semblent s’être donné rendez-vous à Loudéac au retour. J’ai bien prévu le masque pour me couper de la lumière mais j’ai omis de prendre des boules Quies. Une vraie erreur de débutant !

Le bilan de ce deuxième temps de repos est catastrophique. Je n’arrive pas à m’endormir et je me lève complètement groggy. Inutile toutefois de prolonger l’expérience ; je décide de m’octroyer quelques micro-siestes d’une 15ne de minutes dans la journée.

J’avale une marmite de café – de la lavasse comme à chaque fois – et je retrouve mon giant vers 23h00. Franchement, jusqu’à là, ça le fait plutôt bien. Strava me le confirmera à l’arrivée : 25,2 km/h de moyenne roulante sur les 300 premiers kilomètres, 21.8 km/h sur les 300 km suivants jusqu’à Brest, 20,6 km/h sur les 310 km entre Brest et Fougères au retour. Quant à mes petits bobos, j’ai découvert qu’il suffisait de focaliser son attention sur celui qui fait le moins mal pour atténuer la perception de la douleur.

Je rejoins Fougères un peu avant 9h00 du matin. Mon objectif est de rallier Mortagne au Perche dans la soirée pour m’accorder un troisième temps de repos. Deux éléments contrarient un peu ce projet : je commence à être vraiment très fatigué – un signe ne trompe pas : j’ai parfois du mal à me rappeler de mon fameux mantra… - et commence à avoir le fessier affreusement douloureux, à vif dans certaines zones. Bien sûr, je ne suis pas le seul car à présent, près d’un cyclo sur deux se dresse sur les pédales à intervalle régulier pour soulager ledit postérieur.

Fidèle à mes principes d’automédication, je décide de faire un stop pour me soigner et pour pratiquer une courte sieste de 15 minutes. Je programme le réveil et je sors mes remèdes miracles. Je dois dire que l’utilisation d’une bombe cryo à l’arnica sur un fessier à vif a au moins un mérite : il réveille très efficacement son homme et permet de se passer pour une bonne période de caféine !

Passée cette période un peu délicate, les remèdes font leur office et je peux repartir presque normalement.

J’arrive à Villaines la Juhel à 14h42 très précisément. Villaines la Juhel au retour du Paris Brest Paris, c’est l’équivalent d’une arrivée du tour de France. Des centaines – milliers ? – de personnes se pressent contre les barrières installées par l’organisation. Et les applaudissements fusent généreusement à mon passage, toujours solitaire à ce moment. Des centaines d’yeux vous détaillent de haut en bas au moment de poser son vélo. En plus, je n’ai pas la chance de faire partie d’un groupe qui distrairait un peu leur attention.

Le speaker annonce sur un ton désolé : « les coureurs ont pris beaucoup de retard car ils ont eu vent de face à l’aller et, ce qui assez rare, vent de face au retour. Nous en attendons encore plus de 4000 ».

Je dois avouer qu’à cet instant, je préfèrerais être un peu plus tranquille et incognito. Je me sens sale et pas très présentable – j’ai pourtant pris deux douches depuis le départ et je me suis changé à Fougères pour arborer fièrement les couleurs de l’Abeille dans la dernière ligne droite.

Par ailleurs, j’ai franchi un nouveau stade de fatigue et mon projet de m’allonger sur l’herbe, dans cette ambiance de fête foraine, a du plomb dans l’aile. Je décide de me restaurer, de repartir ensuite et de me trouver un petit coin champêtre pour me reposer.

Pour le déjeuner, c’est génial. Tous les gamins à la ronde ont été mobilisés pour accompagner les participants au self. C’est donc flanqué d’une gamine de 12 ans au maximum qui porte gaillardement mon plateau bien chargé que je m’installe pour manger. J’échange quelques mots avec un sarthois assisté de son épouse et d’un de ses meilleurs copains. Il m’explique qu’il a pris cher aussi au niveau de son fessier. Il a fallu lui arracher les pansements qui lui avaient été posés par le médecin lors de l’étape précédente. Je me dis que finalement le gel cryo, ce n’est pas si mal…

Je repars vers 15h30. Il me reste 205 km à accomplir et je commence à bien le sentir, le truc. Je roule une vingtaine de kilomètres et je m’accorde la sieste tant attendue derrière une haie après l’indispensable –et de plus en plus longue – séquence soin.

Au réveil, j’attaque la dernière ligne droite.

Et là, les choses vont se compliquer nettement. Tout d’abord parce que je suis victime d’une belle hypoglycémie. Je ne l’ai pas vue venir mais elle est sans doute méritée compte-tenu de l’anarchie alimentaire que je pratique depuis le départ. La moyenne tombe radicalement et la traversée du Perche me semble interminable. Ce qui me rassure toutefois, c’est que je voisine toujours avec les cyclos du groupe H.

Tout cela est casse-pied et mon objectif des 80 heures s’éloigne. Pour autant, avoir une fringale sur une distance de 1200 km, cela faisait clairement partie des scénarios envisagés. Le moral reste donc excellent. « Patience et courage », ça fonctionne aussi très bien avec une hypoglycémie !

La vraie galère, c’est 15 kilomètres avant Mortagne qu’elle survient. Mes cervicales lâchent d’un coup. Concrètement, cela veut dire que je ne suis plus capable de tenir ma tête droite et que si, au prix d’un bel effort, je peux de temps en temps jeter un œil 50 mètres devant moi, j’en suis réduit, 80% du temps à regarder la roue arrière du cycliste qui me précède. Quand un cycliste me précède.

Là, je dois avouer que je prends un gros coup au moral, pas encore au point d’envisager d’abandonner l’épreuve toutefois. Par contre, ma belle assurance a disparu.

Ne plus pouvoir tenir sa tête à vélo, c’est très dur. D’abord parce qu’il devient techniquement impossible de dépasser les 10 km/h. Ensuite parce que c’est nerveusement épuisant de ne pas pouvoir anticiper les pièges de la route.

Si je veux aller au bout, il va me falloir un coup de main. Je ne suis pas forcément très optimiste. Le Paris Brest Paris, et c’est le seul reproche que je formulerai, ce n’est pas toujours une ambiance cyclo bienveillante. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai emmené d’autres participants 10 ou 20 kilomètres durant pour les voir me dépasser dès que je baissais un peu le pied, en donnant le coup de rein qui va bien pour m’empêcher de prendre la roue. Et si j’ai été remercié chaleureusement 2 fois pour avoir mené longuement des groupes – toujours de nuit bien sûr, et par des américains, décidément mes compagnons d’aventure préférés – cela reste anecdotique.

Je repère du coin de l’œil deux très belles randonneuses. Le rythme adopté me semble compatible avec mon état. Je demande à leurs propriétaires s’ils acceptent que je me glisse dans leur roue, sans effectuer ma part du travail, mes cervicales me faisant défaut. Ce qu’ils font bien volontiers en tant que spécialistes du Paris Brest Paris.

Je découvrirai rapidement que l’un d’entre eux, Bernard AUSSILOU n’est autre que le pilote du prototype de randonneuse construit par Philippe ANDOUARD dans le cadre du concours des machines. Accessoirement, il s’agit aussi du Président de l’amicale des diagonalistes. Son compagnon est haut en couleur aussi. Il pilote une magnifique randonneuse en titane qui doit être une rareté dans nos contrées. Et il possède une collection de vélos à faire pâlir les plus grands amateurs.

Avec leur aide, je finis par rejoindre Mortagne vers 21h00. Nous dînons rapidement. Je manque singulièrement d’entrain et je me force à ingurgiter un plat de spaghettis bolognaise. Ils ont choisi de repartir dans la foulée et de s’accorder une pause à Dreux. Je leur embraye le pas car j’ai le sentiment, à ce moment-là, qu’ils constituent ma seule chance de boucler mon périple. Je préfère également rouler de nuit, pour minimiser les dangers liés aux véhicules automobiles et je suis conscient que parcourir les 121 km pour rallier l’arrivée va me prendre un peu de temps.

Moins d’une vingtaine de kilomètres après, je demande toutefois à Bernard AUSSILOU de poursuivre sa route sans moi. Il refuse dans un premier temps, mais fini par accepter. Je suis littéralement écrasé de fatigue et j’ai eu du mal à négocier les deux dernières descentes. Je veux éviter de me mettre en danger mais aussi de mettre en danger mes compagnons de route.

A cet instant, je ne donne pas cher de ma peau. D’autant que mon éclairage donne des signes de faiblesse en plein cœur de la nuit, ce qui achève de me démoraliser. Je décide de dormir, sans mettre de réveil, dans un abri bus que j’ai eu bien du mal à dégotter au milieu de la campagne. Je sors ma couverture de survie - objectivement, jamais je n’aurais pensé l’utiliser – et je m’endors rapidement. Au réveil, deux heures plus tard, la situation n’est pas plus brillante mais j’ai retrouvé mon sang froid.

J’installe, non sans mal, ma lampe de rechange, je fixe ma minerve – quand je vous dis que j’avais tout prévu, sur le papier en tout cas…- et je relance la machine.

Je ne tarde pas à croiser un nouveau cycliste qui progresse à une vitesse compatible avec la mienne. Je rejoue le même numéro « acceptez-vous que je me glisse dans votre roue ». L’homme – il me donne son nom mais dans l’état second dans lequel j’évoluais, j’ai fini par l’oublier, ce qui est sans doute mon plus grand regret sur ce Paris Brest Paris - décide de m’emmener jusqu’à Dreux, dernier contrôle avant l’arrivée. Il m’explique que pareille mésaventure lui était arrivée lors de son premier Paris Brest Paris et qu’il avait même bricolé un câble reliant son casque à la selle en vue de la deuxième édition, sans en avoir besoin toutefois. Nous allons ainsi rouler ensemble pendant 3 ou 4 heures, notre conversation rendant plaisante cette portion du parcours.

A 10 kilomètres de Dreux, il m’explique un peu gêné qu’il va devoir ré-accélérer s’il ne veut pas se retrouver hors délai. C’est à mon tour de m’excuser platement, vraiment désolé de l’avoir entraîné dans ma chute.

En l’espace de deux rencontres, j’ai trouvé ce que le cyclotourisme a sans doute de mieux à offrir. Et si cette histoire de cervicales relevait finalement plus du coup de chance que du coup du sort ? Mais, à cet instant précis, je n’en suis pas encore là de mes réflexions. Il me reste à rallier Dreux puis enchaîner directement vers Rambouillet.

J’arrive finalement à Dreux vers 4h30. 77 km en 6h30. Pas fameux comme moyenne, vous en conviendrez. Je retrouve au contrôle mon ami Philippe MARGUET, le repreneur des cycles Berthoud, qui pilote une superbe randonneuse conçue pour le concours des machines. Il a plus de 3 heures de retard sur moi compte-tenu de son horaire de départ, mais il est aussi nettement plus vaillant que je ne le suis.

Il a prévu de dormir un peu à Dreux pour profiter de la dernière étape. Ce n’est bien sûr pas mon cas. Sur les conseils du bon samaritain qui m’a escorté jusqu’à Dreux, je fais relever mon guidon à la verticale pour me tenir plus droit sur le vélo. C’est mieux, mais pas miraculeux non plus, et le pilotage du vélo devient très pointu.

C’est parti pour le dernier morceau de 44 kilomètres. J’ai prévu de me l’avaler, même si je dois porter mon vélo sur mon dos ! A mon rythme et vu mon état de fatigue, cela devrait me prendre 4 heures au minimum. Et dire que j’ai des jambes de feu !

Depuis le départ, la petite cousine de mon épouse, qui a 12 ans, n’a pas arrêté de m’envoyer des messages d’encouragement. Je n’ai pas le droit de la décevoir.

Selon une méthode bien rodée, j’intercepte un cyclo qui pourrait m’aider à aller au bout.

Il m’explique qu’il s’appelle Peter Walton, qu’il est originaire de Hartford au nord de Londres et qu’il souffre affreusement de son genou gauche. A partir de là, il me demande de passer devant et me guide en fonction des obstacles qui se présentent.

Notre curieux équipage – je l’appelle le bal des éclopés – rallie la bergerie nationale de Rambouillet à 7 heures 58 minutes et 36 secondes, et, en ce qui me concerne, 83 heures 42 minutes et 32 secondes après le départ.

Fait extraordinaire – le Paris Brest Paris est décidément un tout petit monde – j’arrive quasiment en même temps que Thierry STREIFF avait qui j’avais intégré l’Abeille en 2010 au même moment que moi. Lui vient de boucler son troisième Paris Brest Paris. On ne boxe pas dans la même catégorie. Je lui trouve une très sale tête avec des cernes en triangle qui descendent quasiment jusqu’au menton. Il faut dire que je ne me suis pas encore regardé dans un miroir. J’ai les yeux complètement gonflés, juste traversés par deux petites fentes très fines, j’ai l’air d’un repris de justice avec ma barbe de quatre jours et je peine à tenir ma tête droite.

Le temps de se saluer chaleureusement et d’échanger nos coordonnées avec Peter - ce dernier me remerciera d’avoir adopté un rythme qui lui aura permis d’épargner son genou - je repars à pied, péniblement et au ralenti, rejoindre ma voiture.

Sur le parcours, je suis félicité deux fois par des cyclos qui aperçoivent ma médaille dans le casque que j’ai retiré. Le deuxième vient d’abandonner son 3ème Paris Brest Paris en raison de ses cervicales. Quand je lui explique mes malheurs, il a l’air sincèrement très heureux que j’ai réussi à boucler mon premier PBP.

Un drôle de truc, ce Paris Brest Paris et une jolie histoire pour finir, je trouve.

Si je l’ai réussi, c’est à l’Abeille que je le dois. L’Abeille qui m’a appris à utiliser correctement un vélo et à reconnaître une belle randonneuse artisanale quand j’en croise une. L’Abeille qui m’a donné le goût des longues distances et qui m’a fait rêver très tôt au Paris Brest Paris.

Avec une mention particulière pour Alain Moraine, sans qui j’aurai peut-être abandonné dès le BRM 200 tant les conditions climatiques étaient difficiles et à Gérard GREZE. Gérard, ce n’est pas compliqué, il m’a accompagné depuis mon premier Levallois-Honfleur en 2011 jusqu’à quasiment le dernier tour de roue du BRM 600 cette année. Quelque part, c’est comme s’il avait fait deux PBP cette année.

Un petit message pour finir concernant notre club. Cela fait près de 10 ans que je l’ai rejoint. J’ai une conviction simple que je voudrais partager avec vous. Au-delà de tout ce qui fait sa spécificité et son attrait – les voyages à l’étranger, les semaines abeille et toutes les occasions de rencontres – l’Abeille Cyclotourisme ne doit pas renier son histoire et doit rester un club qui prépare au Paris Brest Paris.

Cela suppose de conserver un espace qui encourage un certain niveau de performance, sans que cela soit contradictoire avec les valeurs du cyclotourisme. Et sans se faire traiter en permanence de « couraillon ».

Nous constituons un très beau club, auquel je suis fier d’appartenir. J’espère que mon témoignage suscitera des vocations et que nous serons encore plus nombreux en 2023.

Olivier


"Le Cyclotourisme, un art de vivre"